Extraits
Introduction
Startup : mot féminin en sept lettres objet de tous les fantasmes et de tous les rêves dans un monde en mutation accélérée. Star médiatique, parfois surgie de nulle part et capable d’apporter avec peu de ressources dans un contexte de grande incertitude une réponse rapide et disruptive à un besoin existant, mais jusqu’alors mal adressé.
(…) Quelle que soit la définition que l’on donne au mot startup, ce phénomène objet de tous les regards à travers le monde intrigue autant qu’il fascine ou inquiète, à mesure qu’il révolutionne les usages de notre quotidien. Aucun secteur d’activités n’échappe plus à ses attaques, semant un vent de panique dans la « vieille économie » et provoquant d’innombrables remises en cause au sommet des tours de La Défense autant que de Wall Street. Si aucune entreprise ne se pose plus désormais la question du « pourquoi » entamer ou accélérer sa transformation digitale (« disruptez
ou soyez disrupté ! »), toutes s’interrogent sur le « quoi » accélérer, et plus encore sur le « comment » y parvenir. Car derrière le mot transformation se cache bien plus qu’un site web ou une présence sur les réseaux sociaux avec l’aide de quelques stagiaires recrutés parmi les millennials. Il s’agit d’une modification en profondeur de la culture de l’entreprise, son business model, son organisation en silos, ses priorités, ses valeurs, ses modes de travail, etc., afin qu’ils soient tous alignés sur une même vision inspirante.
(…) Si les grands groupes, ETI et PME d’aujourd’hui ont tous commencé par être des « startups » sans le savoir, tous rêvent de le redevenir. Notons ici que dans le même temps, les jeunes pousses ne pensent qu’à grossir et se structurer, selon une ironique inversion des priorités de chacun des deux mondes. Comment retrouver l’agilité et la créativité de leurs débuts ? Comment s’inspirer de ces micro-entreprises dirigées par des gamins d’autant plus agaçants qu’ils bénéficient d’un avantage extraordinaire, à savoir une maîtrise aussi intuitive que parfaite du web et des outils numériques avec lesquels ils sont nés, et dont le coût n’a cessé de baisser depuis dix ans ?
Comment être ou redevenir cool ?
(…) Jamais nos repères n’avaient tous été bousculés en même temps. Jamais dans l’histoire de l’humanité les jeunes générations n’avaient bénéficié d’un tel avantage stratégique et d’une telle longueur d’avance sur celles qui les ont précédées. Jamais le pouvoir de la jeunesse n’avait semblé menacer autant celui de l’expérience.Jamais la marche naturelle du monde et de la transmission n’avait ainsi été bouleversée. A l’heure du numérique, l’enfant enseigne à ses parents à qui il pose désormais moins de questions qu’il n’en pose à Google, et le collaborateur forme son supérieur hiérarchique. Ni le patron ni le chef de famille ne sont plus le point d’entrée de l’information, dont personne ne conserve le monopole.
(…) Après « Tous entrepreneurs ! » serait donc venu le temps du « Tous startuppers » ! Dans les sièges sociaux comme dans les usines ou les magasins ayant pour le moment résisté au rouleau compresseur Amazon, chacun est désormais prié de se réinventer pour ne pas programmer trop vite son enterrement, massacrant parfois au passage les règles d’or de la motivation.
(…) C’est à ce voyage et à cet apprentissage que vous invite ce livre. Car de nombreux exemples attestent qu’une entreprise peut être grande ET rapide. Puissante ET agile. Complexe ET innovante. Vieille ET branchée. L’esprit d’entreprise, voilà la clé. Et le véritable secret de la planète startup, qui en est l’incarnation la plus récente.
(…) Mon objectif principal est qu’à la fin de ce livre, vous ayez pour ambition sincère de transformer réellement un maximum de vos collaborateurs en intrapreneurs, si vous êtes dirigeant d’entreprise. De penser, décider et agir comme un entrepreneur, si vous êtes un manager salarié ou l’un de ses collaborateurs. De grandir rapidement sans jamais renier vos valeurs ou trahir votre vision, si vous êtes un jeune créateur. Et que chacun d’entre vous puisse trouver régulièrement de nouvelles sources de croissance durable, tout en sécurisant et en pérennisant son activité actuelle. N’oubliez jamais qu’aucune entreprise n’échappe au risque de mourir à petit feu dès lors qu’elle grandit, se bureaucratise et cesse d’innover. Startup ou pas. Le défi est immense et passionnant. A l’image de notre époque.

« Les deux jours les plus importants de votre vie sont le jour où vous êtes né et celui où vous avez compris pourquoi. »
Mark Twain
1 Changer le monde…
même un peu
Préférez-vous dire le soir à vos proches que « vous rentrez du travail » », ou que « vous avez fait quelque chose d’utile aujourd’hui » ? Une chose est sûre, personne ne se lève avec enthousiasme le matin quand il ne sait ni à quoi, ni à qui il sert. Où est mon étoile du berger ? Quel est le sens de mon action ? Me procure-t-elle du plaisir, de la fierté, du bonheur, de l’excitation, de l’adrénaline ? A qui profite mon activité ? Quelle est son utilité sociale ? Au point parfois de nous rendre incapable de trouver une quelconque motivation
dans un travail répétitif, sans liberté ni responsabilités, enjeux ou reconnaissance.
(…) Sentir que ce que l’on fait a un impact, sur soi-même et sur les autres. Un besoin humain vital auquel répondent naturellement l’esprit d’entreprendre et la folle ambition de changer le monde, deux caractéristiques essentielles des startups. Le hasard veut que mon voisin de palier à New York soit devenu un conférencier star et une idole des startuppers pour avoir simplement rappelé au monde entier dans un best-seller que le sens de la vie tient en trois lettres : WHY ? Nul doute pour Simon Sinek, tout entrepreneur doit commencer par se poser la question du POURQUOI, prélude naturel auhow (comment) et au what (quoi).
(…) Bien sûr, toutes les startups n’ont pas vocation à devenir des game changers. Cela n’a d’ailleurs aucune importance, l’essentiel étant de viser un horizon suffisamment mobilisateur pour donner du sens et éclairer le chemin. Inutile d’être un leader mondial pour avoir une vision et se donner une mission. Plus que jamais, une marque existe et réussit durablement si elle a du sens et joue un rôle dans la vie quotidienne de ses clients.
(…) Au début d’une startup, il y a toujours une vision inspirante, non négociable et si ambitieuse qu’elle sera probablement la seule chose à ne plus jamais changer tout au long de l’aventure. Un idéal créateur de consensus, qui la rend unique et attirante. Une croyance si forte, que celui qui l’a inspirée préfèrera toujours abandonner plutôt que de la trahir. Un repère si puissant qu’il permettra plusieurs pivots successifs, voire même plusieurs changements de stratégie sans que la vision ne soit jamais modifiée. Une aspiration si stimulante qu’elle permettra à tous de vivre la même aventure et de partager longtemps le même ADN.

« C’est quand ça va bien qu’il faut changer. »
Jean Boissonnat
2Allumer le feu…
mais pas trop !
Publié le 2 août 2011 par Stephen Elop, nouveau CEO de Nokia venu de chez Microsoft pour sauver du naufrage l’ex-star du mobile, le memo intitulé Burning Platform a connu un retentissement mondial. Analyse sans concessions des faiblesses du géant finlandais à l’heure où il prenait ses fonctions, il est rapidement devenu une référence.
(…) Devenue synonyme de crise majeure et de rebond, la métaphore de la plateforme en feu n’a malheureusement sauvé de la débâcle ni Nokia ni son président, reparti sans éclat chez Microsoft… Mais elle a été utilisée ensuite par de nombreux dirigeants pour créer un sentiment d’urgence, y compris dans des entreprises en bonne santé, qui peinent le plus souvent à convaincre leurs collaborateurs de changer quand tout va bien. A leur faire comprendre que mieux vaut refaire la toiture de sa maison par grand beau temps que sous la pluie.
(…) Personne n’est plus à l’abri. Le risque majeur pour toute entreprise ? Vouloir profiter trop longtemps d’une rente de situation confortable ou d’une position dominante, sans se soucier du moment où un nouvel entrant le lui fera regretter brutalement. Ce qui finit toujours par arriver quand on baisse la garde. « Les cimetières sont pleins d’entreprises qui se croyaient irremplaçables », m’a dit un jour un ami entrepreneur. Innover et se diversifier sans cesse. A l’évidence, toutes les entreprises doivent l’expliquer sans relâche à leurs équipes et se préoccuper de faire évoluer en permanence l’état d’esprit de leurs troupes, tant les défis sont désormais nombreux.
(…) Mais faut-il pour autant allumer le feu, et quand ? La question mérite d’être posée et débattue. Dénoncée par de nombreux experts en management, cette technique de pyromane est en effet difficile à alimenter durablement, une fois passé le choc de l’annonce initiale. Sans compter le sentiment de peur et d’anxiété qu’elle génère inévitablement au sein de l’entreprise, et qui peut devenir une arme destructrice et à double tranchant. Et bien sûr le risque d’endommager la crédibilité du dirigeant, si le scénario catastrophe qu’il a élaboré s’avère être une pure élucubration de sa part, ou tarde à se produire.

« La contrainte sollicite l’imagination. »
Claude Lelouch
3Faire plus
avec moins
(…) S’il est une différence majeure entre une startup et un grand groupe, c’est bien son rapport accéléré au temps… et à l’argent. « Il y a une angoisse du temps long dans les startups », explique aux Echos Gonzague de Blignières, co-fondateur de Raise avec Clara Gaymard. « Parfois, dans les grandes entreprises, les délais s’étirent trop. Combien de créateurs se plaignent d’une absence de réponse à leurs emails et coups de fil, ou se retrouvent baladés de personne en personne ? » La faute aux process, bien plus souvent qu’aux hommes. La croissance génère toujours de la complexité. Multiplication d’intervenants non décisionnaires ou pas toujours clairement identifiés, incapacité à trancher ou arbitrer les conflits, rivalités, jalousies, politique interne trop souvent préférée à l’action, lenteur de la prise de décisions, précautionnisme juridique, frilosité des SI, manque de courage, etc. Tout concourt à foncer droit dans le mur, sans que personne ne s’en alarme ou ne mette les pieds dans le plat.
(…) Rien de ce qui se pratiquait auparavant ne sert d’inspiration initiale aux startuppers, tant est grande leur capacité à penser différemment. Partant d’une page blanche et portant un regard neuf sur le monde qui l’entoure, libre de toute pression hiérarchique, de tout héritage et de tout préjugé, le fondateur de startup ne s’interdit rien. Visant toujours l’innovation de rupture rapide (dont on sait combien les vrais exemples sont rares) plutôt que l’innovation incrémentale lente (beaucoup plus fréquente, spécialité des grandes ou vieilles entreprises), il semble n’avoir aucune barrière mentale, ce qui provoque parfois des miracles.
(…) Le manque d’équipes, de temps et de moyens qui caractérise les startups et qui devrait en toute logique être une faiblesse se révèle généralement être une fantastique opportunité pour leurs dirigeants. Habitués à gérer la pénurie dès la création de leurs entreprises, beaucoup excellent à ne dépenser que ce qui est strictement nécessaire. La vitesse de propagation de leurs solutions est vitale, le gagnant étant souvent celui qui bénéficie du meilleur modèle de distribution. Comme on s’en doute, ils sont généralement très performants dans l’utilisation intuitive de tous les outils numériques pour travailler plus rapidement. Early adopters par nature et multi-tâches, ils sont obsédés par l’efficacité et détestent tout ce qui les ralentit.

Nous devons nous ouvrir en profondeur
à l’acceptation de l’incertitude.
C’est le déni qui nous épuise, nous angoisse. »
Charles Pépin
4 Accepter
l’incertitude
Personne n’aime l’incertitude. L’économie numérique dans laquelle nous vivons est pourtant celle de l’instabilité, mettant à rude épreuve ses jeunes autant que ses vieux acteurs. Entreprendre revient désormais à trouver chaque jour des solutions nouvelles et créatives à des problèmes dont la plupart n’existaient pas la veille. Certains experts définissent les startups comme un groupe humain dont la caractéristique première est sa capacité à créer de nouveaux produits ou services dans des conditions d’extrême incertitude. Soit précisément ce qui définit notre époque, tant celle-ci règne en maître dans nos vies personnelles autant que professionnelles.
(…) Au point d’avoir donné naissance à un nouvel acronyme anglo-saxon : VUCA, pour Volatilité, Incertitude (Uncertainty), Complexité et Ambigüité. Introduit au début des années 90 par l’armée américaine pour décrire le monde post-guerre froide et s’y défendre, il a favorisé une approche Light Footprint (empreinte légère) qui n’est pas sans rappeler l’agilité des startups d’aujourd’hui. L’objectif était d’assurer la sécurité des populations civiles et militaires américaines par des interventions rapides et ciblées, afin d’éviter les risques d’enlisement et les dommages collatéraux. Compte tenu de la diversité d’adversaires avançant de plus en plus souvent masqués et aux motivations multiples, priorité à une plus grande variété de nouvelles stratégies chirurgicales élaborées rapidement et adaptées à chaque situation sur le terrain. On comprend donc facilement pourquoi le terme VUCA n’a pas tardé à s’imposer dans le langage économique.
(…) Difficile de mieux résumer le contexte dans lequel les startups excellent à se développer. Nul ne peut en effet prévoir où et quand surviendra la prochaine crise mondiale majeure, d’où viendra le millennial qui ubérisera notre activité, quelle nouvelle technologie rendra obsolète celle que l’on vient tout juste d’adopter, comment évolueront les goûts de nos clients, quel impact auront les réseaux sociaux sur leurs décisions d’achat, à quelle vitesse l’intelligence artificielle envahira les derniers aspects de notre vie quotidienne qui lui échappent encore, etc.

« Quelle différence y a-t-il entre l’entrepreneur
qui réussit et celui qui échoue ?
Ce dernier a arrêté avant de réussir. »
Steve Jobs
5 Echouer souvent…
mais vite !
Impossible de prononcer le mot startup sans que surgissent immédiatement des formules telles que Lean Startup, Design Thinking ou Test and Learn, qui participent toutes de la même conviction. Pour être efficace, l’innovation doit être frugale (lean) et se concrétiser par une série itérative d’allers-retours rapides auprès des clients, que l’on appelle des runs. Objectif affiché : tester rapidement une idée ou une fonctionnalité (si possible addictive), puis l’améliorer grâce au feedback de ses futurs utilisateurs et abandonner si elle ne rencontre pas l’adhésion des clients. Avec cette méthode, la personne qui porte un projet ou une idée n’a pas le temps de s’attacher à sa création, et accepte beaucoup plus facilement la critique.
(…) Autre vocabulaire obligé de la planète startup, les expressions Fail fast et Fail forward. Au sens anglais de Fail, qui signifie « essai manqué » et non « fin de l’histoire ». « Nous ne sommes que l’accumulation de nos échecs. C’est sur la base de nos erreurs que l’on est capable de créer », a déclaré un jour Xavier Niel. Qui dit risque dit acceptation de l’échec, intégré comme un ingrédient de la réussite et qu’il convient de banaliser. Car refuser le droit à l’erreur individuelle ou collective, c’est refuser le droit à l’expérimentation qui doit être omniprésente dans toute l’entreprise. Une habitude typique des grandes entreprises adeptes de « l’inertie active » chère à Don Sull, professeur de management au MIT, et développée dans son ouvrage Revival of the fittest . Le concept est d’une banalité effrayante : une entreprise qui pousse à l’extrême les recettes qui lui ont toujours réussi dans un environnement en mutation court inévitablement à sa perte. Tétanisés par la peur de l’inconnu, obsédés par leur structure de coûts et victimes des motivations parfois opposées entre actionnaires et managers, de nombreux acteurs historiques optent pour une suicidaire créativité a minima. Fort heureusement, croire que valoriser les seules innovations incrémentales et les seuls réflexes de gestionnaire ne fait courir aucun danger à l’entreprise est en passe d’être violemment contredit par la culture du risque inhérente à l’esprit startup et les succès qu’elle entraîne dans son sillage.

« In God we trust. All others must bring data. »
William Edwards Deming
6Data is king
« Nous croyons en Dieu. Tous les autres doivent venir avec des données. » Si une simple recherche sur Google permet de trouver des centaines de citations sur n’importe quel sujet, le choix est encore très limité quand on tape le mot « data ». D’où mon soulagement d’avoir déniché par hasard cette formule du célèbre statisticien et consultant américain William Edwards Deming pour ouvrir ce sixième chapitre.
Disparu en 1993, sans doute se réjouirait-il de voir la data devenir l’or noir du 21ème siècle. A l’image du pétrole, les données sont partout et ne demandent qu’à être extraites et exploitées.
(…) Qu’elles soient « froides » (statiques et stockées dans des bases existantes) ou « chaudes » (récemment collectées ou produites en temps réel et devant être exploitées rapidement), les données sont au cœur de la révolution que nous sommes en train de vivre. Elles se logent dans une multitude de cases, et la capacité à les inventorier, collecter, stocker, analyser, visualiser, récupérer, utiliser, diffuser et partager est à l’origine des plus grands succès planétaires récents. Ce sont elles qui ont transformé en vingt ans de minuscules startups en géants mondiaux, menaçant l’un après l’autre d’innombrables secteurs d’activité. Elles qui offrent un atout considérable aux jeunes entrepreneurs du numérique. Elles dont les bases gigantesques, propriété des GAFA et autres BATX,éduquent l’intelligence artificielle et ont donné à l’Amérique et à la Chine une avance que certains jugent irrattrapable par les petits poucets européens. Certes talentueux mais partis trop tard, ces derniers sont en outre handicapés par des marchés locaux trop petits et une multitude de langues différentes à gérer.
(…) Grâce à la data, les startups ne se contentent plus d’identifier les attentes d’un client, puis d’y répondre. Une parfaite maîtrise des données leur permet en effet de créer de nouveaux besoins, le plus souvent insoupçonnés de la part même de ceux auprès desquels elles les collectent. D’où l’importance stratégique d’être et de rester propriétaire de sa data pour ne pas se faire désintermédier par des acteurs data driven. Plus que jamais, sa valeur dépend de l’accès au client qu’elle réserve et garantit à celui qui la possède et en conserve la maîtrise.

« Manager par les valeurs,
c’est un engagement à transformer toute l’entreprise.
Et cela vient du dirigeant. »
Jacques Horovitz
7 les valeurs avant
les process
« Des valeurs ? Bien sûr que nous avons des valeurs ! Nous en avons même cinq. Intégrité, enthousiasme, excellence, … Euh, laissez-moi réfléchir un instant, il m’en manque deux… J’appelle mon assistante, elle va me donner les deux dernières, je crois qu’elles sont affichées derrière son bureau. » Je suis certain que vous aurez du mal à croire que cette scène surréaliste se soit réellement produite dans le bureau du big boss d’un grand groupe. Affligeant ? Assurément. Rarissime ? Malheureusement pas tant que cela ! Et pas uniquement dans le seul bureau des présidents du CAC 40. C’est d’autant plus regrettable que le management par les valeurs est un extraordinaire levier de croissance, qui facilite le travail en équipe, encourage l’esprit d’initiative et favorise les décisions rapides. A condition bien sûr qu’elles soient compréhensibles par tous, alignées avec un projet et applicables concrètement quelle que soit son activité dans l’entreprise.
(…) Alors pourquoi parler de valeurs, dans un livre censé révéler ce qui fait la force des startups pour mieux s’en inspirer ? Tout simplement parce que la nature bouillonnante d’une startup, le manque fréquent d’expérience ou de repères de ses fondateurs et leur vision le plus souvent inspirée par quelques icônes customer-centric comme Jeff Bezos, Steve Jobs ou Tony Hsieh leur procurent un avantage décisif sur leurs illustres aînés : leurs valeurs priment sur les process et leur donnent toutes les audaces, cette « part de volonté qui s’ajoute à l’analyse pour forcer le destin », pour reprendre l’expression de Roger-Pol Droit.
(…) Aucune procédure, aucune habitude, aucune règle, aucune contrainte, aucun comité ne vient menacer ou concurrencer leurs croyances et leurs pratiques, lesquelles découlent le plus souvent de leur vision : embaucher des passionnés, s’amuser, prendre du plaisir, écouter les clients, se glisser dans leurs chaussures, comprendre leurs frustrations et leurs besoins, développer une culture de l’empathie, construire une relation de proximité avec eux, privilégier l’intelligence émotionnelle et la complicité, être toujours les premiers utilisateurs des produits ou des services qui leur sont proposés, inventer en permanence de nouvelles fonctionnalités enthousiasmantes et addictives, prendre des risques, encourager et accepter l’échec, etc.

« On n’achète pas une startup juste pour la mettre sur une étagère.
Il faut qu’elle bouscule nos organisations. »
Arthur Sadoun
8 Travailer « avec »
et non plus « contre »
La réussite se conjugue désormais au pluriel. Depuis près de quinze ans, mon compère Arnaud Le Gal et moi recevons chaque semaine sur BFM Business des entrepreneurs aguerris dont les parcours, tous si différents et si proches à la fois, sont une formidable illustration de l’esprit entrepreneurial français. Certains de nos invités sont surtout motivés par une mission, d’autres (beaucoup plus rares) le sont par l’argent, tous par la liberté de choisir leur chemin, d’être indépendants et d’avoir un impact social. Avec le recul, une évidence s’impose. Si les plus anciens créaient seuls leurs entreprises, les startuppers fonctionnent à plusieurs et chassent en meute.
(…) Les grands groupes n’ont plus d’autre choix que de pratiquer l’innovation ouverte (open innovation) en s’associant à des acteurs plus petits qu’eux et plus disruptifs. A mesure qu’il devient de plus en plus complexe et coûteux d’innover seul se multiplient ainsi les alliances, autrefois perçues contre-nature. Découvrant les limites de leurs laboratoires de R&D (royaume de l’innovation incrémentale) obsédés par le syndrome du NIH (Not Invented Here), gérés par des process d’un autre âge à un coût parfois astronomique et débouchant trop souvent sur des produits trop compliqués ou sans intérêt ne trouvant jamais leur public, un nombre croissant de dirigeants plébiscite le mode collaboratif.
Tout prouve qu’il y a désormais plus d’intelligence à l’extérieur de nombreuses entreprises qu’à l’intérieur, et elles sont de plus en plus nombreuses à accepter de se faire challenger par des structures et des gens qui ne leur ressemblent pas. Un nombre croissant de dirigeants commence même à pratiquer (voire à imposer) à leurs équipes le partage de leurs données et de la valeur avec leurs clients ou partenaires, bravant parfois les oppositions de leurs directions juridique et commerciale ou des SI.
(…) Après les slashers (qui cumulent plusieurs activités et statuts en même temps), la glocalisation (néologisme anglais formé par les mots globalisation et localisation), le co-working, le co-design (inspiré du design thinking) ou la fusion food qui nous offre l’accès simultané aux saveurs du monde entier, c’est l’hybridation à tous les étages !

« Si on néglige l’humain, on se prépare un avenir infernal. »
Jean-Dominique Senard
9 L’humain n’a pas dit
son dernier mot
Si vous voulez faire comme tout le monde fin 2018, affichez partout votre ambition d’être à la fois « digital et humain ». Aucune convention d’entreprise ne se tient plus désormais sans que revienne en boucle cette nouvelle formule miracle. Nous avons suffisamment rappelé jusqu’ici à quel point le numérique n’est plus négociable pour quiconque veut rester dans la course. Mais il est temps de dire aussi combien il est insuffisant pour quiconque veut la gagner. Si vous voulez vraiment vous différencier de vos compétiteurs, privilégiez l’humain ! Et prouvez le chaque jour à travers chacun de vos propos, de vos décisions et de vos actions.
(…) Aussi surprenant que cela puisse paraître, la bataille du digital ne se gagne jamais sans, ou contre les hommes. Car si technologie et compétence technique sont à la portée de n’importe quel carnet de chèques (ou compte Paypal), l’humain reste assurément le plus complexe de tous les défis, même et surtout à l’heure du digital.
(…) Parvenir à créer un état d’esprit partagé par tous les membres d’une équipe est (et sera toujours) la chose la plus difficile à réaliser. Mais c’est aussi la chose la plus difficile à copier par un concurrent une fois qu’il s’est durablement installé, ce qui en fait sa magie et la plus belle des aventures.
(…) En la matière, la révolution apportée par les entrepreneurs du numérique est d’avoir su comprendre l’importance des soft skills pour penser et agir autrement, si longtemps négligés par les entreprises traditionnelles ou anciennes. Pour un grand nombre d’entre eux, curiosité, passion, empathie, vision, aptitude au risque, sens du collectif, etc. priment sur la technique, la discipline, le respect des règles, de l’autorité et de la hiérarchie. Autant de qualités qui ont besoin de liberté pour s’épanouir et se développer.
(…) A les observer de près, l’une des caractéristiques des startups à succès semble être de savoir regrouper au sein d’une petite équipe des compétences variées qu’aucune entreprise du même secteur n’avait su réunir auparavant. Et pour attirer et rassembler ces divers talents, rien de tel qu’un rêve fédérateur.

« Le travail fatigue et avilit, tandis que l’œuvre exalte,
génère de l’énergie et rend optimiste. »
Michel Serres
10 « j’optimisme »
et j’incarne
Cinq ans après la parution de mon livre Ne me dites plus jamais bon courage ! (sous-titré « lexique anti-déprime à usage immédiat des Français »), je m’en veux encore de ne pas avoir inventé la formule « j’optimisme » imaginée par Carrefour, tant elle aurait naturellement dû me venir à l’esprit. Car l’acte même d’entreprendre est synonyme d’optimisme, cet état d’esprit qui vous donne des ailes et vous fait croire que rien ne peut vous atteindre. Au point parfois de vous rendre sourd et aveugle à tout ce qui dans votre environnement pourrait vous ralentir, mais qui dans bien des cas se révèle être un atout considérable par le miracle de votre volonté. Ténacité, obstination, courage : parce qu’il est optimiste et croit à son rêve, le startupper n’abandonne jamais là où tant d’autres baissent les bras. Quelles que soient les difficultés qu’il rencontre, il impulse, puise au fond de lui l’énergie nécessaire et se bat.
(…) Solitude, manque d’expérience, de réflexes, de moyens humains et financiers, de relations, de temps, de recul, etc. Face à ces lacunes, ils possèdent heureusement d’innombrables atouts.
(…) De la même façon que beaucoup d’investisseurs affirment investir davantage sur une équipe que sur une idée, tous semblent aimer les belles histoires, si possible incarnées et donnant ses lettres de noblesse au storytelling, cet art consistant à traduire un projet parfois banal en récit homérique. Une discipline que maîtrisent parfaitement les meilleurs startuppers, et qui les oblige parfois à changer de discours selon la cible à laquelle ils s’adressent.
(…) Afficher son optimisme en toutes circonstances et incarner fièrement sa marque sont deux armes redoutables qu’utilisent habilement les startuppers pour séduire financiers, collaborateurs et clients. A l’inverse, l’émotion, le sourire et l’humour sont le plus souvent absents de la stratégie et de l’image que projettent les grands groupes déshumanisés. Y lancer un tel chantier titanesque relève probablement de l’utopie. Mais ce n’est ni une malédiction, ni une raison suffisante, pour refuser d’y réfléchir. Toute histoire est belle. Encore faut-il savoir la conter. Et surtout en avoir envie.

« On peut connaître la vertu d’un homme en observant ses défauts.»
Confucius
11 Tout n’est pas bon
dans la startup
Si tout est bon dans le cochon, tout n’est pas bon dans la startup ! Et mieux vaut le rappeler ici, pour vous éviter de rejoindre le cimetière des innombrables projets qui devaient changer le monde, mais ont disparu pour avoir omis quelques évidences.
Meilleur défricheur que gestionnaire
(…) La rentabilité, en premier lieu. Oublier que tout métier, quel qu’il soit, est un métier de « centimier » est une erreur tragique. Tout comme dépenser l’argent que l’on n’a pas, vouloir grandir trop vite, ou avec le seul argent de ses actionnaires, ou bien encore oublier que la croissance fait toujours exploser son fonds de roulement.
Une bonne idée trop tôt n’est pas une bonne idée
(…) Parce que leur nature même est d’avoir toujours un coup d’avance, les startups découvrent parfois à leurs dépens l’une des clés du succès (ou plutôt de l’échec) en matière d’innovation : une bonne idée trop tôt n’est pas une bonne idée. Trop tôt, c’est trop tôt. Trop tard, c’est trop tard.
Priorité à l’exécution
(…) Contrairement à une idée reçue, le succès de la plupart des startups est donc moins lié à l’idée de départ, souvent simple voire banale, qu’à l’excellence de son exécution millimétrée. Entre une bonne idée et son succès, il y a toujours sa mise en œuvre.
Distribution vs innovation
(…) Si les startups ont généralement l’avantage en matière d’innovation, leurs moyens humains ou financiers limités handicapent souvent l’accès au marché dont bénéficient historiquement les grands groupes. A mesure que les anciens courent après l’innovation, les startups courent toujours après la distribution
La « belle histoire » a des limites
(…) Si la méthode Coué prend le plus souvent l’avantage sur le pessimisme et a sauvé des milliers d’entreprises, force est de reconnaître que la culture de la belle histoire et le personal branding des fondateurs qu’affectionnent tous les startuppers ont leurs limites.
De vrais clients plutôt que des Likes !
(…) Si la capacité d’un entrepreneur à utiliser les réseaux sociaux pour créer et fidéliser une communauté est primordiale, elle ne doit jamais servir de validation virtuelle. Aimer une idée ou un concept ne signifie en rien qu’on en deviendra client, et moins encore un utilisateur régulier.
Le projet n’est pas la levée de fonds, elle n’en est qu’une étape
(…) De term sheets en due diligence, et de rendez-vous avec des avocats en closings dix fois reportés, le risque est grand de confondre le métier d’entrepreneur et celui de leveur de fonds.
Traduire son site en plusieurs langues ne veut pas dire être international
(…) Grisées par leur succès national et désireuses de s’internationaliser, de nombreuses startups se contentent trop souvent de traduire leur site en plusieurs langues pour s’en donner l’illusion.
Le management reprend très vite ses droits, startup ou pas startup
(…) Dès qu’une jeune pousse se met à grandir et à embaucher, apparaissent inévitablement des enjeux complexes qui nécessitent un savoir-faire que le tutoiement, la méditation, la présence d’une table de ping-pong ou d’un babyfoot ne suffisent plus à solutionner.
L’argent pour unique moteur
(…) S’il est un mythe qu’il faut absolument combattre, c’est bien celui de l’argent pour unique moteur.
Pas toujours so cool
(…) Dans son livre Bienvenue dans le nouveau monde , Mathilde Ramadier dresse un bilan au vitriol de ses années passées de startup en startup à subir leur supposée « coolitude ».
Le « startup management » reste à inventer
(…) La multiplication actuelle des ouvrages qui vont à l’encontre de l’euphorie ambiante démontre que tout n’est pas toujours so cool de l’autre côté du miroir, et que la vie dans le « vieux monde » offre encore bien des avantages…
Réinventer l’expérience collaborateur
(…) Pour mener de front innovation technologique et innovation managériale, ils devront notamment accepter l’idée qu’être une jeune pousse et avoir peu de moyens ne les affranchit en rien de leurs obligations morales, sociales et citoyennes.

« L’intrapreneuriat est une attitude, et non pas un département. »
Dawn Elyzabeth
12 Place au management
« intrapreneurial »
Presque arrivés au terme de notre voyage sur la planète startup, il est temps pour moi de vous poser quelques questions vous concernant. Plutôt que d’envier la créativité et l’agilité de ces nouveaux concurrents surgis de nulle part et qui inventent des solutions qui étaient à la portée de vos équipes, pourquoi ne pas entamer une vraie révolution managériale et transformer vos collaborateurs en intrapreneurs ?
(…) Au risque de vous choquer, j’ai envie de vous dire que tout (ou presque) est de votre faute, qui que vous soyez à l’heure où vous êtes en train de finir la lecture ce livre. Président, entrepreneur, fondateur ou repreneur, dirigeant salarié, cadre (dont Hervé Sérieyx aime rappeler que l’une des définitions est : « Une structure rigide qui entoure du vide »), manager, directeur, chef de service ou simple collaborateur sans aucune responsabilité managériale, peu importe ! Car chacun de nous, quel que soit le poste qu’il occupe, peut faire bouger les choses au niveau qui est le sien s’il en a l’envie et la volonté.
(…) Si vous pensez au contraire que le jeu en vaut la chandelle, alors rejoignez le mouvement « intrapreneurial » ! Apparu pour la première fois sous la plume du consultant Gifford Pinchot et de son épouse Libba en 1978, le mot intrapreneur recouvre une multitude de réalités, mais un seul état d’esprit. Pour simplifier à l’extrême, le terme intrapreneur pourrait être une bonne traduction du mot startupper appliqué au monde du salariat : Dreamers who do. Des rêveurs qui agissent.
(…) Pour réussir cette révolution et se donner les meilleures chances de succès, il faut à la fois faire émerger un maximum de leaders et multiplier les intrapreneurs partout dans l’entreprise, tous métiers confondus. Fût-ce au détriment des managers, dont le nombre, le rôle et l’influence ne vont cesser de diminuer dans les années à venir au profit de l’intelligence collective, de l’autonomie et de l’esprit d’entreprise.
(…) Mettre en place une culture « intrapreneuriale » et un purposeful leadership (leadership qui donne du sens) suppose évidemment que les managers (de proximité, notamment) modifient dès aujourd’hui en profondeur la façon dont ils envisagent leur job. Qu’ils reconnaissent que la marche du monde impose désormais de réfléchir à plusieurs et qu’ils acceptent d’être challengés, voire bousculés par ceux dont ils ont la responsabilité.

« Je ne nie pas l’adversité,
mais je refuse d’y voir une fatalité. »
Auteur inconnu
Conclusion
(…) Ce qui est en train de se produire sous nos yeux n’est autre que le début d’un monde si nouveau et si différent qu’aucune organisation, aucune façon de faire, aucune méthode, aucune recette ne peut plus être considérée comme définitive. Tout peut et tout doit être remis en question régulièrement, même et surtout quand cela commence à bien fonctionner. C’est fatigant, mais préférable à la perspective d’assister trop vite à son propre enterrement. Et cela concerne les entreprises traditionnelles autant que les startups. Car en grandissant, celles ci vont être inévitablement confrontées aux mêmes problèmes que leurs aînées : confort, recul de l’innovation, bureaucratie, rivalités personnelles, manque d’appétit, etc.
(…) Pour finir, j’aimerais vous rappeler que le temps n’est plus aux sociétés d’experts isolés dans des silos et des organisations pyramidales, respectant les process à la lettre, managés à un rythme de sénateurs par des armées de soldats aux ordres, passant la moitié de leur vie en réunions inutiles, aux yeux desquels l’échec n’est pas une option et qui sont obsédés par l’image qu’ils renvoient à leur hiérarchie. L’avenir appartient à des mini-collectivités d’intrapreneurs cross-fonctions obsédés par la satisfaction de leurs clients qui opèrent en toute transparence, expérimentant rapidement en prenant des risques, commençant petit et rêvant grand, qui voient dans chaque échec une source inépuisable d’amélioration et qui se moquent de leur réputation auprès de leur chef.
(…) Si vous vous reconnaissez dans la première catégorie, restez en slow motion (ralenti) et soyez assurés que vos jours sont comptés. Mais si vous choisissez la version time lapse (accélérée), laissez les jeunes prendre le pouvoir dans votre entreprise, privilégiez la vision, l’agilité et le collectif, préparez-vous à d’innombrables transformations successives et apprêtez-vous à vivre des années aussi rock and roll que passionnantes.
Je vous laisse y réfléchir…
A vos marques. Prêts ? Startup !
conclusion
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